III.Une région transfrontalière

Quelles corrélations s'établissent entre les deux régions?

 
Le fait que le Pays basque soit "à cheval" sur deux États a favorisé dans le passé des activités de contrebande que l'on appelait gauazko lana (littéralement "le travail de nuit"). La nuit, les contrebandiers passaient toutes sortes de marchandises, du nord au sud ou du sud au nord, tabac, vin, café, sucre, chocolat, tissus, outils, bétail, qui variaient selon les époques, les besoins et les prix. On raconte qu'il existait un accord tacite entre carabineros et les douaniers d'une part et les contrebandiers d'autre part:  si les contrebandiers se faisaient repérer, ils prenaient la fuite et abandonnaient leur fardeau. En échange, les douaniers ne tiraient pas et se contentaient de confisquer les marchandises.
Les Pyrénées avaient déjà cette fonction d'interface puisqu'elles étaient un espace où les deux côtés de la frontière sont mis en relation par des activités spécifiques, telles que la contrebande ou encore l'utilisation des mêmes pâturages de montagne par les bergers des deux côtés. Cette dernière activité pastorale a donné lieu à des accords, appelés faceries, qui fixent l'utilisation des terres pour chacune des parties. Encore aujourd'hui, comme nous le verrons, l'existence du Pays de Quint est le résultat de ces activités. La coopération transfrontalière a donc une longue histoire.


 En 1993, fut créé L'Agence transfrontalière de développpement de l'Eurocité Basque, afin de travailler au développement économique, culturel et social du territoire. Elle  comprend actuellement trois membrest: la Communauté d'Agglomération de Bayonne-Anglet-Biarritz, la Diputación Foral de Gipuzkoa et le Consorcio Bidasoa-Txingudi. De même, ont demandé leur adhésion officielle la mairie de Donostia – San Sebastián et la Communauté de communes Sud Pays Basque, qui réunit les communes situées entre Saint-Jean-de-Luz et Hendaye.

Quelle est le but de cette création ?

         Lors de La création de l’agence transfrontalière en février 1993, cette structure dont la forme juridique est celle d’un groupement européen d’intérêt économique et le siège se situe à Saint Sébastien, avait pour nom « Observatoire transfrontalier Bayonne –Saint Sébastien ». L’évolution et l’avancement des projets ont amené les institutions fondatrices à la rebaptiser, le concept d’ «agence pour le développement » correspondant davantage au rôle qui est aujourd’hui le sien. Elle a par ailleurs été rejointe en 2001 par le Consorcio Bidasoa-Txingudi.
L’Agence a pour mission d’animer la coopération transfrontalière sur le territoire de l’Eurocité Bayonne San Sebastián. l’Eurocité voulait donner une impulsion nouvelle aux territoires en introduisant une petite révolution dans le droit français avec l’autorisation donnée aux collectivités locales françaises de participer à des regroupements avec des collectivités de droit espagnol. Le but de l’Eurocité : permettre de développer des projets communs transfrontaliers, comme cela se faisait déjà à Lille. Une belle idée qui se heurte aux législations des états et à la multiplication des intervenants : régions, départements, communes...
        Elle intervient donc dans des domaines variés, allant de l’aménagement du territoire (Livre Blanc de l’Eurocité, études sectorielles), à des thématiques concernant la vie des habitants de l’Eurocité, tels que le sport. Elle participe également dans la mise en réseau de partenaires, initiatives de projets, bien qu’elle continue également à avoir un rôle d’observation.

L’Eurocité apparaît donc comme une opportunité car, compte tenu de ses caractéristiques, elle peut grâce à un effort conjoint, faire de ces potentialités une réalité, en procédant à sa construction. Le fait d’avoir plusieurs centres peut donner lieu à une structure multi centrée, offrant la possibilité d’un développement appuyé sur l’accroissement des relations internes et le resserrement des liens avec d’autres pôles européens.

Est-ce que ces corrélations aident véritablement les projets de coopération?

Actuellement, discrétion et inaction semblent être les adjectifs mieux caractérisant ce projet transfrontalier. Voici comment Alain Lamasssourre, député européen qualifie aujourd’hui l’Eurocité basque. A sa création, il était pourtant très enthousiaste sur ce nouveau statut européen d'intercommunalité « Nous pourrons étudier maintenant la possibilité de transformer l'euro-région Pays Basque ».
 Un projet ambitieux mais dix ans plus tard, sa visibilité et son action semblent réduites. « Il s’agissait de mettre en place une coopération nouvelle. Je dois dire que ce projet est aujourd’hui en roue libre.” De même, il pense aussi que Le nouveau Président, Jean Grenet devrait redonner une impulsion politique forte et favoriser le développement de ce projet original. Malheureusement, l’Eurocité Basque ne semble plus dans l’air du temps. Le manque d’initiative du côté français et les rivalités entre partis politiques du côté espagnol ont freiné le développement de ce projet dont la population tenait de l’espérance vers l’amélioration de leur région. Tous les voyants sont passés au rouge. Néanmoins, certaines communes continuent d’y croire comme Anglet et Irun qui viennent de créer une nouvelle commission chargée de définir des axes de réflexion pour réaliser … des projets transfrontaliers.

Malgré tout, les progrès sont lents et peu de projets communs voient le jour dans des contextes politiques, juridiques et administratifs différents. Dans le nouvel élan des dirigeants de l’Eurocité basque, la priorité est donnée à l’actualisation du Livre Blanc, (recueil d'informations destiné à un public déterminé pour l'amener à prendre une décision sur un sujet particulier) dans les domaines des infrastructures et du développement durable.
        Le premier livre avait été rédigé entre 1997 et 2000 et concernait les transports et l’environnement. Plusieurs années plus tard, les enjeux et les réalités sont les mêmes. Mais il semble que certains sujets soient toujours figés, comme la réalisation d’un « train-tram » entre Bayonne-San Sébastien. Idem pour les deux ports concurrents de Pasajes et de Bayonne ou pour les aéroports de Biarritz et de Fontarrabie, qui ne semblent pas envisager leur avenir en commun. Une certitude, Jean Grenet soutient la candidature de la ville espagnole de San Sébastien pour être la ville européenne de la culture en 2016. Un premier pas, peut-être...


Deux realités différentes :

         Il s’agit de deux réalités différentes et éloignées bien que frontalières, à la fois proche et lointaines. Mais, pour les promoteurs de l’Eurocité, la construction européenne les pousse à coopérer et, au préalable, à mieux se connaître. Le fait frontalier constitue une difficulté additionnelle à l’intégration de ces territoires, non seulement sur le plan fonctionnel, mais aussi au niveau des intérêts. D’un côté le Pays Basque français en général et le Labourd en particulier, dans le cadre d’un État centralisé, constituent une périphérie puisqu’il s’agit de l’une des zones les plus éloignées de Paris. Les barrières politiques du passé représentent des obstacles non négligeables qu’il faut prendre en compte afin d’élaborer une stratégie de dépassement. Si l’évaluation du passé et l’interprétation du présent ne garantissent pas l’avenir, il s’agit d’un problème pour créer cette Eurocité.
D’un autre côté, le Pays Basque espagnol, le Guipúzcoa surtout, constitue une réalité territoriale relativement homogène, malgré la multitude de municipalités et le repli local. Ce territoire dispose d’institutions jouissant de grande capacité de décision et de compétence étendues, à l’instar du Gouvernement Basque et de la Députation Forale de Guipúzcoa. Cette région se caractérise aussi par son dynamisme économique et sa capacité d’initiative. Simultanément, ces deux territoires forment une entité singulière marquée par leur condition commune, celle de constituer un couloir côtier le long du passage naturel à l’ouest de la barrière montagneuse que forment les Pyrénées.


Les projets de coopération transfrontalière :


         Dans un rapport consacré à la coopération transfrontalière en Pays Basque, le Conseil de Développement met en exergue des enjeux majeurs ; le développement des échanges entre les personnes dans leur vie quotidienne pour construire un territoire de vie transfrontalier, l’affirmation d’une volonté politique forte pour renforcer les relations transfrontalières et l’assouplissement des contraintes administratives afin de faciliter l’articulation des règlements.  La coopération transfrontalière s’articule autour de trois projets centraux dont la création de services publics communs, la gestion des déchets ménagers et la plate-forme logistique Aquitaine-Euskadi.

       
 La gestion unitaire de ces services publics constitue un projet qui renforce le processus d’intégration européenne, s’agissant d’un projet transfrontalier à travers lequel il est question d’atteindre un haut niveau de cohésion entre des territoires appartenant à deux États membres, il s’agit dès lors, d’un pari pour la constitution d’une unité européenne. Les services publics constituent des instruments majeurs pour parvenir à intégrer un ensemble d’enclaves urbaines dans le cadre d’une métropole euro régionales car ils sont indispensables à l’existence de services basiques communs pour l’ensemble de moyens de transport et de communication qui permettent la mobilité et la communication fluide au sein de ce territoire.
        
         Une longue histoire caractérisée par des échanges économiques, des rivalités politiques, des conflits militaires et des traditions communes, les relations entre ces deux territoires et les habitants qui les animent témoignent d’une grande complexité des deux côtés des Pyrénées.
          Le désir de créer une métropole européenne offrirait l'occasion de parvenir à une meilleure gouvernance de l'ensemble urbain en optimisant les ressources et en réalisant des économies d'échelle afin d'améliorer la qualité de vie de ses habitants. 
         Le cadre d’euro région implique donc de créer une identité et un sentiment d’appartenance commun qui dépasse les identités locales et nationales. Cette identité basque se construit à partir d’une conscience des citoyens d’appartenir à une entité commune. Ce sentiment se développe au fil du temps à travers des événements, des actions et des pratiques politiques, économiques et sociales. Il implique de savoir que l’on appartient à un groupe, d’associer un sentiment à cette appartenance et que, la conscience d’appartenir à une communauté.
Pour exprimer cette identité chez les populations situées de part et d’autre de la frontière, il est nécessaire de renforcer les relations d’interdépendance entre les habitants situés dans des structures politiques, économiques, sociales et culturelles différentes.
L’Eurocité est considérée comme une nécessité pour la création d’un espace commun et garantir ainsi les avantages d’une telle formation mais pourtant, il ne s’agit, pour l’instant, que d’une juxtaposition de centres urbains de taille variée.


En définitive, on constate que diverses plataformes se sont mises en marche afin de garantir la création d'une région allant au-dela des frontière étatiques. Ainsi, il y existe des particularités territorriales comme le Pays Quint, qui se définit comme une région dont le model dépasse la validité des frontières...

Le pays Quint (KINTOA).



   Le pays "Quint" a un statut bien étonnant issu du traité de Bayonne de 1856. On ne saurait dire s'il est français ou s'il est espagnol tant les règles y sont complexes. Paul Raymond mentionne que le nom de Quint a été donné à ce pays « du droit de glandage pour les pourceaux, qu'on appelle communément "droit de quint", transféré par Charles III, roi de Navarre, aux barons d'Espelette ».
Cet espace s'étend sur environ 20 000 ha, sur les deux versants pyrénéens. Ainsi, depuis des temps immémoriaux, la vallée de Baigorri (au nord) et la vallée de Erro (au sud) utilisent en commun cette vaste pâture de lande.  Appartenant à l’Espagne mais occupé par la France, ce territoire situé au sud des Aldudes (petit vallée) fut jadis l’objet d’âpres disputes pastorales. Des nos jours, ce minuscule morceau de Pays basque symbolise les aberrations auxquelles mènent les luttes frontalières.
Auparavant, une barrière existait : elle  tranchait dans la montagne et faisait de la hêtraie deux entités végétales, posées l’une en Navarre, l’autre en Basse-Navarre. En 1237, la couronne de Navarre décida de prélever un cinquième de la valeur des porcs menés dans la vallée, le « Quint » explique le nom de ce curieux pays.
Cette indivision n'a définitivement pris fin qu'avec le Traité des Pyrénées de 1856 suivi de la convention additionnelle de 1858. Il reste encore des traces de cette indivision dans les conventions du traité de 1856. Le traité de Bayonne signé le 2 décembre 1856, décida de la répartition territoriale et du régime de jouissance de cette zone contestée Le pays fit longtemps l'objet de sanglantes disputes entre bergers français de Baïgorry et espagnols du val d'Erro.

Comme l’histoire se complaît à entretenir les malentendus, en 1856, le fameux traité de Bayonne définit le territoire comme une cession à perpétuité de l’Espagne à la France contre une redevance annuelle.
Borne situé au Pays Quint délimitant la frontière
Le traité de 1856 accorda à l'Espagne la propriété du territoire, et à la France la jouissance indivise sur la partie nord de la zone, et la jouissance moyennant une rente annuelle pour le pacage des troupeaux sur la partie sud, versée par la vallée de Baïgorry. L'imprécision de la frontière entre la France et l'Espagne, principalement dans la région des Aldudes, a conduit à des affrontements souvent violents, entre les frontaliers. Une "Convention relative aux Aldudes" fut signée, en août 1786, par les représentants des deux royaumes.
La guerre de la Convention (1793-1795) empêcha qu'elle fût respectée. En 1812 Napoléon décida d'un nouveau tracé, basé sur un principe universellement reconnu, la ligne de partage des eaux. Après la chute de l'Empire, les relations frontalières se dégradèrent. Une commission inter-frontalière, présidée par le lieutenant général Harispe, proposa plusieurs projets. La première guerre carliste (1834-1839) ne permit pas de les concrétiser.
Il fallut attendre le Traité de Délimitation du 2 décembre 1865, entre Napoléon III et Isabelle II, pour que cessent les affrontements. Depuis 143 ans, la paix est revenue dans cette région. La frontière est restée la même, à de rares et minimes modifications après. Aujourd'hui, le statut hybride perdure, la poste française assurant la distribution du courrier et la guardia civil espagnole la sécurité.
         Cette situation reste une donc particularité au sein de la frontière pyrénéenne, un territoire dont on ne sait pas clairement a qui il appartient, l’existence d’une région allant au dessus des limites étatiques conçus reflète l’existence d’une région transfrontalière voir supranationale, et cela remet en cause la véritable validité de la frontière en tant qu'élément de séparation


Un autre élément qui garantit l'union entre les deux versants des Pyrénées sont les médias, L'existence des mêmes médias temoignent -ils la présence d'une union sociale entre les deux régions frontalières?

Les médias, un outil de raprochement ou d’éloignement selon l’intérêt politique.

       
La culture basque est bien vivante, comme le prouve le nombre important de médias qui traitent de l'actualité de ce territoire en langue basque. De la presse écrite à la presse orale on compte une grande variété de moyens de communication qui sont souvent liés à des positions politiques.
Dans ce paysage médiatique si particulier, EITB, premier groupe de communication du Pays basque, avec quatre chaînes de télévision et quatre stations de radio fait figure d’exception. Plus rien à voir avec les publications aux moyens de fortune. Le groupe est installé à Bilbao, il y emploie plus de 1 000 personnes dont 600 journalistes au sein d’une rédaction multimédia travaillant pour la télévision, la radio et Internet. Un bureau est ouvert à Bayonne, mais pour combien de temps encore ? Depuis quelques mois, les neuf salariés bayonnais sont inquiets sur leur avenir. L’organisation originale d’EITB rassemble dans son conseil d’administration tous les représentants des partis politiques du Pays basque Sud. Avec le changement politique intervenu en 2009, qui a mis au parti socialiste au pouvoir, et la baisse des recettes publicitaires, les économies semblent passer par une réorganisation des correspondants. 
 Ainsi, après l’arrivée du leader socialiste au gouvernement basque, une des premières mesures prises fut la modification de la carte qui présente le bulletin météorologique, auparavant, avec le gouvernement nationaliste cette information présentait les sept provinces formant Euskal Herria, en  laissant sous entendre qu’il y existait une unité politique commune. Après les élections de 2009, Patxi Lopez, le lehendakari (président d’Euskadi) manifesta sa divergence avec le model présent, établit par le Parti Nationaliste Basque. Ainsi, il le modifia en dressant les frontières régionales et étatiques sur la carte d’une part, et de l’autre en amplifiant les informations des régions qui entourent Euskadi : Navarre, Castille et Léon, Cantabrie et le Pays Basque Français.

Ancienne carte du Pays Basque


Nouvelle carte du Pays Basque
On peut donc conclure grâce à l’exemple du média public EITB, que les groupes de communication peuvent jouer une grande importance dans la représentation du peuple basque comme une unité transfrontalière, tout en tenant compte des intérêts politiques. Ainsi, la représentation du bulletin météorologique représente déjà la volonté du gouvernement de considérer la nation basque comme une nation limitée à l’espace de la Communauté du Pays Basque Espagnol, Euskadi, ou bien comme une région transfrontalière qui garantit la présence d’un peuple commun des deux côtés de la frontière.